Les Wampas sont la preuve que Dieu existe
Par François Begaudeau, le 6 décembre 2008
Les Wampas sont la preuve que dieu existe. Avec un titre pareil, les Wampas ne sont devenus ni complètement mythos, ni complètement clowns. Ils continuent à être les deux. Le rock, c’est les deux, fierté et auto-dérision. Pour en écouter puis en jouer, il faut se sentir à la fois une merde et un dieu. À la fois personne et quelqu’un. Personne quand dans votre chambre adolescente vous dansez sur vos idoles, quelqu’un quand c’est votre tour d’y aller. Et c’est ainsi que s’achève le supersonique morceau qui clôt l’album : « Ouais moi c’est sûr que quand j’écoutais les Cramps personne ne s’mettait à genoux / et aujourd’hui devant ta glace c’est mon reflet que tu vois ».
Entre personne et quelqu’un a lieu le triple miracle des Wampas. 1, ils ont inventé le rock’n roll pour vous les enfants, rien que pour vous. 2, ils ont inventé le rock français. 3, comme des grands têtus fidèles à la tornade qui les souffla à 14 ans, ils n’ont jamais, jamais, décollé de leurs bases rock. Scotchés ici-bas. Bloqués sur le tarmac. Terre-à-terre et ignorés par la presse dandy, tant mieux.
Avec cette livraison, la maladie s’est encore aggravée. Ceux qui à l’écoute du précédent album avaient pu croire à une mise aux normes, ceux qui entrevoyaient un possible et si banal devenir-poète de Didier en découvrant un chef-d’œuvre comme Danser sur U2, déchanteront. Aujourd’hui les gars nous reviennent punk-rockers comme ils ne l’ont jamais été depuis Chauds sales et humides, vingt ans déjà. Que des morceaux courts, et des guitares cracra qu’en mai dernier à Stockholm, le producteur des Hives, Pelle Gunnerfeldt, a bien pris soin de ne pas aseptiser. Didier est content. Pour une fois que la production correspond à peu près à la vitalité mal léchée qu’il a dans le crâne et dans le sang au moment où il compose.
Que du nerveux. Pas de guitare acoustique, pas de ballade. Un morceau lent comme Il n’y a que les lâches qui freinent (pardon pour ce titre génial) immédiatement écorché par des dissonances post-blues. Le piano lyrique de l’intro de Nevers était si bleu immédiatement barré par le lourd tapage de fût de Nico, puis hachuré par les accords métal de Philippe.
Le lyrisme, Didier s’en occupe. Parce que Didier chante, ce qui s’appelle chanter. Il chante punk, criard, beau. C’est du chant total, du chant qui ne se laisse pas cantonner au bon goût, au conforme dosage de l’émotion, aux notes. C’est très restrictif de cantonner le chant aux notes. Dans le chant il y a le juste et le faux, la mélodie et le rot, le grave et l’aigu, le chaud et le froid que Didier souffle. Il chante, nom de dieu. Il donne de la voix. Pleins poumons, la vie à son coefficient maximum.
Il chante primitif. Il chante des choses primitives qui paraissent opaques tant le deuxième degré domine aujourd’hui. « Le soleil brillait, elle me souriait, et moi qui hésitais ». Et en écho : « Nevers était si bleu ». Pas d’image là-dedans, encore moins de jeu de mots (vert et bleu). Il y avait la ville de Nevers et ce jour-là elle était bleue. C’est simple comme bonjour, simple comme « tes grands yeux gris comme le port de Lorient la nuit ». Simple comme la Suisse et combien on aimerait la détester parfois, simple comme le détail qui tue pour l’illustrer (« les renards traversent Lausanne »), simple comme l’incongruité, au milieu de toutes les contrariétés de la vie en tournée listées par Elle est où ma loge, d’une phrase comme « j’oublie toujours le nom du roi des Belges ».
Cette simplicité détermine aussi la tranquille puissance politique de l’album. On glosera sans doute dans tous les sens une chanson comme Universal qui incrimine sans précaution l’employeur et son obsession du single (alors que l’album comporte l’archi-tubesque Persistance rétinienne), mais fatalement on s’embourbera dans des histoires de système qui a parfaitement intégré sa contestation, et dans la fatigante dialectique subversion-récupération. En vérité les Wampas procèdent plus frontalement, plus prestement. L’homophobie persiste, vous aimeriez bien le dénoncer, et en même temps quelle connerie la dénonciation, et comment faire d’ailleurs ? Dire que les homos sont des gens comme les autres ?, insinuant en réalité le contraire (si c’est tellement évident, pourquoi le proclamer ?). Le rock lui ne se mouche pas avec le coude, le rock encule nulle mouche, il balance ses accords et des phrases comme « petit PD, si je le pouvais je t’épouserais ». Voilà c’est réglé, le rock a tissé une diagonale entre le gay-friendly mollement sympatoche et l’hétéro-beaufitude graveleuse. En toute sérénité, dans une salutaire apesanteur qu’entérinera, le « je suis comme un veuf de militaire » de la piste 12, et qu’allègent ici des chœurs génialement sixties : petit-petit-pam /petit-petit-PD/ hou hou-hou-hou.
Avec Didier, crooner et pétasse, mâle et femelle, tout commence et finit par des hou-hou-hou qui réconcilient tout le monde. Le rock des Wampas (pléonasme ?) est une sortie de l’impasse par le haut. Chaque chanson un petit miracle. Chaque chanson la preuve que l’amour existe.